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Asie-Pacifique

DGSI, DGSE, Bercy... Comment l'État surveille les investissements chinois

Les services de renseignement sont de plus en plus mobilisés pour surveiller les industries stratégiques françaises lorgnées par Pékin. Enquête.

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L’aéroport de Roissy

Le PDG du fonds chinois des routes de la soie a mandaté en novembre un consultant français chargé de négocier l’entrée du Silk Road Fund au capital d’ADP (ex-Aéroports de Paris).

Réa

C’est une visite d’à peine quatre jours qui a mis la puce à l’oreille des services de renseignement français. Fin novembre 2017, le PDG du puissant fonds de la Route de la soie (Silk Road Fund), Wang Yanzhi, est de passage en Europe. Quelques mois plus tôt, ce bras armé de l’Etat chinois, doté de plus de 40 milliards de dollars, a acquis 5 % du principal gestionnaire des autoroutes italiennes. Le petit monde du renseignement économique hexagonal est donc sur ses gardes. Que mijote Pékin, qui investit depuis plusieurs mois des milliards de yuans pour son projet de nouvelles routes de la soie ? Selon nos informations, Wang Yanzhi a mandaté lors de ce voyage un consultant français chargé de négocier l’entrée du Silk Road Fund au capital d’ADP (ex-Aéroports de Paris), dont l’Etat français souhaite céder la totalité de sa participation. Si la réussite de l’opération reste très hypothétique, ces démarches confirment encore un peu plus l’appétit de la Chine pour les entreprises françaises.

Un ministre en alerte

Car, avec le rachat du Club Méditerranée, les prises de participations dans PSA ou AccorHotels et les tentatives avortées sur Alcatel ou Vallourec, Pékin s’est invité depuis plusieurs années dans le capital des groupes hexagonaux. Un activisme qui a poussé Bruno Le Maire à qualifier certains investissements chinois de « pillage », lors de la visite d’Emmanuel Macron en Chine du 8 au 10 janvier. Quelques jours plus tard, le ministre de l’Économie annonçait l’extension du décret Montebourg qui permet à l’Etat de s’opposer à des investissements étrangers dans des secteurs jugés « stratégiques », tels que la défense nationale ou les transports et bientôt le numérique. « Les entreprises françaises attirent de plus en plus les capitaux étrangers, notamment chinois, il convient donc de les protéger au mieux tout en préservant l’attractivité de la France » assure-t-on à Bercy.

Cette protection s’opère de deux façons. L’une est très formelle puisque chaque investissement étranger dans ces secteurs sensibles est soumis à une autorisation préalable de la direction du Trésor. Une entité, baptisée Multicom 2, qui comprend une quarantaine de personnes, est spécialement affectée à cette tâche. Elle concède d’ailleurs traiter un nombre croissant de dossiers liés à la Chine. « Et cela devrait encore augmenter avec le plan “Made in China 2025” qui fixe des objectifs en nombre d’entreprises à acquérir », poursuit cette source. Multicom 2 s’appuie notamment sur le Service de l’information stratégique et de la sécurité économique (Sisse), le temple de l’intelligence économique étatique. L’autre protection est nettement moins officielle : « Le décret Montebourg n’a jamais été actionné formellement pour bloquer un investissement étranger, indique un ancien cadre du Trésor. Lorsqu’un investisseur ne répond pas à nos critères, nous allons lui faire comprendre que son offre n’a aucune chance d’aboutir ou lui imposer des conditions, par exemple sur l’emploi ou le dépôt des brevets, qu’il ne pourra pas tenir. »

DGSI et DGSE mobilisées

Les services de renseignement sont également mis à contribution par Bercy. La DGSI, par exemple, comprend une sous-direction surnommée « K », en charge de la contre-ingérence économique sur le territoire national. Depuis 2010, elle a notamment alerté Bercy, à plusieurs reprises, à propos de la « menace chinoise » qui plane sur les entreprises françaises. Quant à la DGSE, outre la Direction du renseignement qui possède un service économique, une petite structure de la Direction des opérations se révèle très utile dans la collecte de renseignements. Celle-ci mène de nombreuses opérations clandestines, comme la fouille de chambres d’hôtel de cadres chinois qui sont de passage en France. Lorsque les investissements étrangers touchent à la défense nationale, la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) est aussi sollicitée, de même que la Direction générale de l'armement (DGA). 

Ce monde très secret du renseignement économique a d’ailleurs suivi de près l’offensive du géant chinois des télécoms Huaweï, intéressé pour reprendre Alcatel en 2015. Le groupe chinois a également fait le forcing, en 2016, pour vendre ses routeurs cœur de réseau en France, domaine très sensible car il pose tout un tas de questions en matière de sécurisation des données. Cette offensive s'était toutefois heurtée à la fermeté de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), qui avait refusé d'autoriser Huawei à vendre sa technologie. « La stratégie était assez agressive avec un lobbying intense au niveau politique et administratif », se souvient un ancien membre des services de renseignement. Celui-ci était tellement fort que Matignon avait à l’époque demandé au Quai d’Orsay et à Bercy de limiter au maximum leurs contacts avec Huawei. Il revient ensuite à l’exécutif, et notamment à l’Élysée pour les plus grosses opérations, de trancher. Si le pouvoir politique a validé ces dernières années la reprise du Club Méditerranée par Fosun ou le rachat de 30% de la branche exploration-production de GDF Suez par le fonds souverain CIC, il s’est aussi montré réticent à voir la part des actionnaires chinois du groupe AccorHotels ou de la Compagnie des Alpes augmenter. Fin février, l’Etat a également refusé de céder le solde de sa participation aux actionnaires chinois de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, afin d’éviter qu’ils ne détiennent plus de 50 % du capital.

Des trous dans la raquette

Au-delà des grands groupes, ces services veillent sur les PME et ETI tricolores via les informations que font remonter le réseau de la Banque de France en province, les préfectures ou la gendarmerie. « L’information circule bien mais notre système se heurte à la définition de l’intérêt stratégique, qui n’est pas très claire, estime Alain Juillet, ancien directeur du renseignement de la DGSE qui préside actuellement l'Association de lutte contre le commerce illicite (Alcci). Certains sous-traitants de Dassault ou Thales sont considérés à juste titre comme stratégiques et d’autres moins connus, mais tout aussi importants, non. »

Le Trésor avait par exemple validé, en 2016, la candidature de SMIC, lié à un centre de recherche technologique de l’Etat chinois, qui souhaitait reprendre le fleuron français de l’électronique Altis Semiconductor. Si le tribunal de commerce a finalement privilégié l’offre de l’allemand X-Fab, la position bienveillante du Trésor vis-à-vis de la Chine avait surpris. A l’inverse, Bpifrance a refusé il y a quelques semaines d’être co-investisseur dans une entreprise française car elle suspectait le partenaire chinois de vouloir rapatrier la technologie. Certains avocats confient également ne pas donner suite à certaines demandes. "Ces dernières années, j'ai refusé de travailler avec des clients chinois qui voulaient racheter des entreprises françaises qui manient des bases de données ou qui sont dans les biotech, indique un avocat d'affaires parisien. Je n'étais pas sûr de leurs intentions".

Autre carence du dispositif français : l’absence de véritables sanctions quand les investisseurs étrangers manquent à leurs engagements, en termes d’emplois ou d’investissements. « C’est la principale faille de notre système de contrôle », juge Claude Revel, déléguée interministérielle à l’intelligence économique de 2013 à 2015. Le gouvernement a toutefois annoncé en février l’introduction d’un système de sanctions graduées. Et d’ici la fin de l’année, la Commission européenne devrait aussi faire une proposition de règlement en matière de contrôle des investissements stratégiques. La guerre contre le « pillage » industriel ne fait que commencer.

 

 

A Bercy, le Sisse veille

C’est la pierre angulaire du dispositif français d’intelligence économique. Le Service de l’information stratégique et de la sécurité économique (Sisse) regroupe 25 experts au ministère de l’Economie, dans une zone « confidentielle défense », et 22 en province. Il est chargé de passer au peigne fin le tissu économique français afin d’identifier les entreprises les plus « stratégiques » pour l’Etat, notamment les PME ou ETI. Et il coopère avec de nombreux services de surveillance : DGSI, DGSE, gendarmerie, préfectures, directions régionales des entreprises, de la concurrence, du travail et de l’emploi (Direccte), les douanes… « C’est probablement le service le mieux informé de France », assure un ancien de la maison. Jusqu’en décembre, il était dirigé par l’ancien directeur de Tracfin, Jean-Baptiste Carpentier. Le nom de son successeur devrait être connu d’ici à avril.

 

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