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Comment les « Panama Papers » ont contraint la Société générale à faire le grand ménage

Les nouveaux documents issus du cabinet Mossack Fonseca révèlent la panique qui s’est emparée de la banque après le scandale. La Société générale a fait fermer une soixantaine de sociétés-écrans dans des conditions laborieuses.

Par , , et

Publié le 21 juin 2018 à 11h53, modifié le 21 juin 2018 à 11h54

Temps de Lecture 6 min.

La Société générale a fait fermer des dizaines de sociétés dans des paradis fiscaux.

La Société générale a-t-elle quelque chose à se reprocher dans l’affaire des « Panama Papers » ? Lorsque Le Monde, « Cash investigation » et le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) ont révélé, en avril 2016, qu’elle avait enregistré un millier de sociétés offshore par l’entremise de la firme panaméenne Mossack Fonseca (MF), la banque française a affirmé avoir toujours agi « dans le respect des lois ».

Son directeur général, Frédéric Oudéa, a alors qualifié de « scandaleux » les « amalgames » et « inexactitudes » de l’enquête. La nouvelle fuite de documents de MF révèle pourtant la fébrilité qui s’est emparée de la banque au moment du scandale et son empressement à liquider la soixantaine de sociétés offshore encore actives alors, dont certaines ont pu dissimuler des fraudeurs fiscaux.

« Après les “Panama Papers”, la Société générale a procédé à une revue méthodique des relations de Mossack Fonseca avec ses clients », explique aujourd’hui la banque. Une mission d’inspection au long cours, qui a nécessité… 13 000 heures de travail. « Tous les mandats pour le compte de nos clients ont fait l’objet d’une procédure de résiliation », précise-t-elle.

« A haut risque »

Loin de la sérénité affichée, c’est la panique qui transpire dans les échanges confidentiels entre la banque et le cabinet. Au lendemain de la révélation des « Panama Papers », l’heure est au comptage des entités mises sur pied pour le compte de riches clients désirant cacher leur argent. Entités qu’il faut fermer d’urgence.

La Société générale assure aujourd’hui avoir fermé toutes les sociétés offshore chez Mossack et les comptes ouverts à leur nom. En réalité, certains bénéficiaires ont décidé de conserver leurs sociétés, en les transférant à un nouvel intermédiaire financier. Sans compter les structures toujours en cours de dissolution. Selon les nouveaux documents issus des « Panama Papers », seules 36 des 64 sociétés encore actives au moment du scandale étaient donc véritablement fermées fin 2017. « La dénonciation d’une relation est un processus administratif long, d’autant plus dans ce contexte exceptionnel », fait valoir la banque.

Si long que la Société générale sera obligée de payer Mossack Fonseca, jusqu’à fin 2017, sur le compte bancaire discrètement ouvert par le cabinet à Dubaï, après avoir été chassé de ses banques habituelles.

Fait troublant, c’est parfois à l’initiative de MF, et non de la banque, que certaines sociétés offshore douteuses sont rayées des livres. Ainsi, le 14 avril 2016, au lendemain des « Panama Papers », Mossack démissionne de son contrat d’agent pour la société offshore Blairmore Holdings, administrée par la filiale de la Société générale aux Bahamas, SG Hambros, pour le compte du père du premier ministre britannique de l’époque, David Cameron. Le même scénario se reproduit pour une société appartenant à Valentin Kazakov, un homme politique ukrainien « à haut risque » lâché par MF fin 2017.

Couper les ponts

Les nouvelles données de Mossack Fonseca révèlent, en outre, que le cabinet panaméen a été épinglé en septembre 2016 par les autorités antiblanchiment du Panama, faute d’avoir obtenu de la branche suisse de la Société générale l’identité de quatre clients français titulaires de sociétés-écrans et visés par une réquisition du fisc hexagonal. Parmi eux, un prestigieux domaine viticole bordelais, un producteur de cinéma ou encore les propriétaires d’une grosse entreprise textile dans le Rhône.

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Selon un décompte du Monde, Mossack Fonseca ignorait l’identité des véritables propriétaires des 64 sociétés ouvertes pour le compte des clients de la banque française dans un tiers des cas, en dépit de ses demandes répétées. Au Monde, la banque affirme qu’il était alors hors de question de répondre à un cabinet avec qui elle avait décidé de couper les ponts. Mais assure que ces renseignements ont été transmis aux autorités de régulation qui les ont demandés.

Parmi les clients connus de MF, notre enquête a permis d’identifier une douzaine de Français. Elle suggère surtout que certains ont utilisé les services de la banque pour échapper au fisc. Parmi eux, Guillaume Bochet, spécialiste de l’immobilier à Reims, explique au Monde « être aujourd’hui en règle », après avoir engagé en 2017 la dissolution de la société Weldon Company, qu’il détenait avec son associé Christian Bochet. Il avait auparavant transmis plusieurs millions d’euros d’actifs vers de nouveaux comptes sans prête-nom à la Société générale Luxembourg.

Sans se prononcer sur ces cas, au nom du secret bancaire, la banque assure mener des vérifications fiscales sur l’ensemble de ses clients depuis 2012-2013 ainsi qu’une vigilance permanente depuis. Elle est pourtant dans le radar de la justice française, qui enquête depuis avril 2016 sur les « Panama Papers » et des faits potentiels de « blanchiment de fraudes fiscales aggravées ». Selon L’Express, « une longue perquisition a été menée en octobre 2017 par la justice luxembourgeoise, sous la houlette du juge Stéphane Pisani, à la demande de la France », dans les locaux de la branche luxembourgeoise de la Société générale. Elle s’inscrit dans le cadre d’une enquête préliminaire pour fraude fiscale sur le patrimoine de Pierre Papillaud, patron des eaux minérales Cristalline, mort en juin 2017.

Cette filiale luxembourgeoise était déjà sous le feu des critiques quelques mois plus tôt, lors de l’audition de son président, Patrick Suet, par la commission d’enquête du Parlement européen sur les « Panama Papers », le 6 mars 2017.

Trois jours plus tard, la « Générale » décide de couper tout contact avec MF. « Nous ne sommes plus impliqués de quelque manière que ce soit dans la vie de cette société et ne pourrons plus répondre à aucune question la concernant », fait savoir au cabinet un haut responsable de la banque à propos de dix sociétés encore actives.

Gage de transparence

La Société générale veut limiter les contacts avec le cabinet panaméen, sans pour autant laisser ses ex-clients dans la nature. C’est alors qu’entre en scène un certain Samuel Fernandez, qui reprend la gestion des sociétés offshore abandonnées par la banque. « En raison d’un changement dans leur politique, votre intermédiaire précédent a interdiction de communiquer avec Mossack Fonseca », se justifie-t-il dans un e-mail au cabinet panaméen, le 13 mars.

M. Fernandez est un ex-employé de Mossack au Luxembourg. A peine les « Panama Papers » ont-ils contraint MF à fermer son bureau dans le Grand-Duché, en février 2017, qu’il se lance à son compte. C’est lui qui finalisera la dissolution de certaines structures encore actives des clients de la « Générale ».

La banque française assure n’avoir conclu aucun contrat avec M. Fernandez pour assurer ce nettoyage. L’avocat panaméen a pourtant liquidé un instrument-clé de sa stratégie offshore : Ference Services. Cette société-écran seychelloise était utilisée depuis des années par la banque pour masquer l’identité des bénéficiaires de ses montages financiers. Jusqu’à sa fermeture, le 22 décembre 2017.

Les documents montrent par ailleurs que la Société générale a engagé, fin 2016, la dissolution de Valvert et Rousseau, des fondations panaméennes utilisées comme prête-noms dans les sociétés de ses clients. « Petit à petit, toutes les actions ont été dûment restituées. (…) Les fondations n’ont plus de raison d’être », écrit MF à la banque le 7 mars 2017… apportant la preuve que la « Générale » était bien le pilote de ces fondations, en dépit de ses démentis.

Au-delà du cas Mossack Fonseca, les « Panama Papers » ont fait réfléchir la Société générale sur ses pratiques offshore. Au Monde, la banque indique avoir renoncé à la gestion fiduciaire de sociétés offshore pour le compte de ses clients – hormis au Royaume-Uni et dans les îles Anglo-Normandes, où le trust reste le mode de gestion patrimonial privilégié. En gage de transparence, elle affirme ne plus accepter dans ses livres que les structures immatriculées dans des pays pratiquant l’échange automatique de renseignements en matière fiscale.

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