Blockchain : France Stratégie presse le gouvernement d'agir pour ne pas rater le tournant
L'institut rattaché à Matignon appelle le gouvernement à donner un cadre réglementaire clair pour lever les incertitudes « néfastes » au développement du secteur.
Par Étienne Goetz
La prise de conscience par la France de l'importance de la révolution amorcée par les cryptomonnaies - dont la plus connue est le bitcoin - se poursuit. Après les recommandations de la Banque de France , les ambitions remarquées de l'Autorité des marchés financiers (AMF) pour encadrer les levées de fonds dans ces devises numériques (ICO), c'est au tour de France Stratégie, une boîte à idées rattachée à Matignon de presser le gouvernement d'agir pour ne pas rater le tournant de la blockchain.
« Dix ans après l'apparition du bitcoin, force est de reconnaître que la technologie sous-jacente n'a pas encore trouvé d'usage majeur, diffusé dans le grand public », concède le rapport, mais l'institut met en garde de ne pas « attendre qu'une technologie soit éprouvée pour se lancer » car « c'est prendre le risque de partir trop tard, quand les places sont prises. C'est donc maintenant qu'il faut sortir du bac à sable de l'expérimentation et mettre en place une stratégie avec pour axes principaux la régulation, le soutien à l'innovation et la formation ».
Un besoin de clarification
Le manque de maturité de la « blockchain » est dû en partie à des obstacles techniques sur lesquels le gouvernement français n'a aucun levier comme le nombre limité de transactions possibles sur le réseau bitcoin. Mais le secteur doit aussi relever d'autres défis qui dépendent de l'Etat. C'est sur ces sujets que France Stratégie a formulé sept recommandations.
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L'institut encourage notamment la promotion de travaux de R & D et la mise en place de cursus approfondis. En la matière, la France accuse un certain retard, en dehors du pôle universitaire Léonard de Vinci. Aux Etats-Unis, les universités les plus prestigieuses (Stanford, MIT, Princeton…) proposent des formations. « Rien ne justifie que les universités françaises comme les grandes écoles d'ingénieurs ne fassent pas de même », insiste le rapport.
Le gros du travail concerne surtout un encadrement plus précis. France Stratégie pousse pour une « régulation de base qui permettra de contrôler les usages frauduleux des cryptomonnaies et développer les usages des 'blockchains' ». Il faut d'urgence apporter des « réponses aux différentes questions réglementaires soulevées en matière de fiscalité, de droit au compte, de lutte anti-blanchiment et de traitement comptable ».
Une fiscalité adaptée
Sur la fiscalité des revenus liés aux cryptomonnaies, aujourd'hui dissuasive, l'institut avance deux pistes : ou bien exonérer les gains inférieurs à 5.000 euros et au-delà appliquer un taux de 19 % assorti de contributions sociales, ou bien intégrer ces gains dans la « flat tax » de 30 % mise en place par le gouvernement. France Stratégie alerte aussi sur les difficultés que rencontrent certains acteurs qui utilisent des cryptomonnaies à ouvrir et maintenir un compte auprès des banques traditionnelles.
Plus largement, le sujet ne doit pas être considéré comme une mode. Les chaînes de blocs pourraient « offrir une solution aux fragilités des systèmes centralisés […] augmenter la productivité en limitant les intermédiaires et en automatisant les transactions ». Elles seraient même « une réponse à la défiance dont souffrent les institutions politiques ». Globalement les « blockchains » pourraient être à l'origine d'une vaste « fluidification des relations économiques et sociales ».
Des cryptomonnaies étatiques ?
En raison de la réputation sulfureuse du bitcoin (drogue, armes, blanchiment), les start-up de la « blockchain » tiennent à distinguer cryptomonnaie et chaîne blocs. « Utile dans un premier temps pour laisser se déployer l'innovation malgré les problèmes de fraude que posent certains usages des cryptomonnaies, cette séparation commence à poser problème », explique le rapport. En effet, les protocoles de consensus, à la base des « blockchains », fonctionnent grâce à une incitation économique (rémunération en bitcoin par exemple) des « mineurs », ceux qui valident les transactions. « Pour séparer le bon grain de l'ivraie et bénéficier des seuls effets souhaités des 'blockchains', il ne suffira donc pas d'essayer d'interdire ou de contrôler le bitcoin », estime France Stratégie. Une piste est de créer une monnaie digitale de banque centrale. « Cette solution permettrait un couplage effectif entre monnaie et univers de la 'blockchain'. Ce moyen de règlement émis par la banque centrale de nature crypto-monétaire donnerait le soutien matériel (existence d'un bilan) et institutionnel (légal et budgétaire) dont manquent aujourd'hui les cryptomonnaies. L'idée serait à l'étude au Royaume-Uni, au Canada, en Inde, en Suède, en Chine, à Singapour et en Russie », soutient le rapport.
Etienne Goetz