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Wall Street à l'assaut de l'Europe

Grâce à leur puissance financière, les géants de Wall Street poussent les feux en Europe. Les banques européennes s'inquiètent.

JP Morgan est parvenu seul à mettre en place un « bridge » de 15 milliards d'euros, une sorte de crédit relais, pour l'espagnol ACS qui a acheté la société d'infrastructures Abertis. / AFP PHOTO / JORGE GUERRERO
JP Morgan est parvenu seul à mettre en place un « bridge » de 15 milliards d'euros, une sorte de crédit relais, pour l'espagnol ACS qui a acheté la société d'infrastructures Abertis. / AFP PHOTO / JORGE GUERRERO (AFP)

Par Thibaut Madelin, Anne Drif

Publié le 15 oct. 2018 à 07:02Mis à jour le 22 oct. 2018 à 11:53

C'était en mars 2015. Royal Bank of Scotland (RBS) procédait à un virage stratégique signant la fin de ses ambitions globales. La banque britannique annonçait son retrait du cash management hors du Royaume-Uni. Métier technique s'il en est, la gestion de flux de trésorerie pour grandes entreprises est pourtant une activité rentable, récurrente et en croissance. Mais l'ancienne étoile de la City, devenue l'ombre d'elle-même après la crise financière, devait réduire la voilure. 

BNP Paribas est apparu comme l'heureux gagnant de ce retrait précipité, récupérant la gestion de millions de transactions par an d'anciens clients de RBS. De quoi conforter la franchise de la banque française, parvenue à surmonter la crise sans trop de heurts et nourrissant clairement de nouvelles ambitions. Mais quand le pétrolier anglo-néerlandais Shell, un ancien client de RBS, confiait six mois plus tard la totalité de ses paiements européens, il a choisi l'américain Citigroup.

Redistribution des cartes

Trois ans plus tard, cet épisode illustre la redistribution des cartes dans la banque d'investissement en Europe. Plusieurs groupes européens frappés de plein fouet par la crise après avoir rêvé de rivaliser avec les géants de Wall Street, à commencer par RBS et Deutsche Bank, ont été contraints de céder du terrain. D'autres ont poussé leurs pions, comme BNP Paribas ou HSBC. Mais les grands vainqueurs du mouvement semblent bel et bien américains. 

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Entre 2008 et 2018, la part de marché des banques d'investissement américaines en Europe est passée de 30,8 à 37,8%, selon les chiffres de Dealogic. Celle des banques européennes a reculé de 61,7 à 55,3%. Comme en témoigne le bénéfice trimestriel de 8 milliards de dollars annoncé par JP Morgan vendredi, les banques américaines ont les moyens de leurs ambitions. Au premier trimestre, la rentabilité de leurs fonds propres atteignait en moyenne 11,2%, près du double de leurs rivales européennes, selon les chiffres de la Fed et de la BCE. 

Plusieurs raisons expliquent ce déséquilibre, devenu un enjeu quasiment géopolitique. Lors de la crise financière, les Etats-Unis ont poussé les plus grandes banques à voler au secours des plus mal en point. Bank of America a ainsi acheté Merrill Lynch, JP Morgan, Bear Stearns… Ces concentrations ont renforcé leur position dans un marché déjà réputé pour ses marges et prix élevés. La hausse des taux de la Fed, tout comme la réforme fiscale de Donald Trump n'ont fait que gonfler leurs profits.

Puissance financière

« On est dans une situation très pénalisante », se plaint le dirigeant d'une banque française. « Il faut être vigilant, ajoute un autre. Les banques américaines sont superpuissantes et s'installent en Europe quitte à y sacrifier leur profitabilité ». De leur côté, les acteurs de Wall Street présents en France pointent une concurrence effrénée et le manque de discipline de leurs concurrentes européennes, conduisant à des marges faibles.

Une chose est sûre, les géants de Wall Street ont des atouts précieux. Pour éviter une trop grosse concentration des risques, le superviseur limite l'exposition d'une banque vis-à-vis d'un client à un plafond correspondant à 10% de ses capitaux propres. Soit 29 milliards de dollars pour JP Morgan, mais environ 10 milliards d'euros BNP Paribas ou 6 milliards d'euros pour Société Générale. 

Une telle force de frappe peut être décisive quand le patron d'un groupe industriel prépare de façon confidentielle un « mega deal ». L'année dernière, JP Morgan est ainsi parvenu seul à mettre en place un « bridge » de 15 milliards d'euros, une sorte de crédit relais, pour l'espagnol ACS qui a acheté la société d'infrastructures Abertis. Selon la banque américaine, il s'agit de la plus grosse garantie (« underwrite ») par une seule banque jamais réalisé en Europe. 

Question de souveraineté

Les banques françaises s'inquiètent. « C'est un problème de souveraineté, dit le dirigeant de l'une d'entre elles. Quand un géant américain aura le choix entre financer Boeing et Airbus, il choisira Boeing ». En 2011, au pic de la crise de l'euro, plusieurs banques de Wall Street, dont Citi ou Goldman Sachs, ont baissé la voilure en Europe.

Aujourd'hui, leurs ambitions sont clairement de grandir en Europe, comme en témoigne une série de promotions internes. Le Français Franck Petitgas s'est vu confier cet été l'ensemble des activités internationales de Morgan Stanley. JP Morgan a promu le franco-britannique Daniel Pinto comme co-président et co-directeur opérationnel. Citi vient de désigner l'Espagnol Manolo Falco pour co-diriger sa banque d'investissement globale. « Cette nomination traduit la montée en puissance de Citi en Europe et notre ambition auprès des grands clients du continent », explique Luigi de Vecchi, le patron en Europe de la banque d'investissement du groupe américain.

Thibaut Madelin et Anne Drif

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