Procès UBS : « On est dans un monde d'argent, c'est la guerre »
A la barre du tribunal, plusieurs ex-managers de la filiale française de la banque suisse sont revenus sur leurs premières déclarations. Ils décrivent un univers « viril » mais sans dépasser « la ligne jaune ».
Depuis une semaine, les premiers prévenus, anciens managers d'UBS France, entendus à la barre de la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris s'emploient à dresser une muraille bien lisse, sans aspérité, presque aussi solide que le secret bancaire suisse, autour des activités du leader de la gestion de fortune. UBS AG, sa filiale française et six ex-managers comparaissent pour démarchage bancaire illicite et blanchiment aggravé de fraude fiscale et pour complicité de ces délits.
Les anciens cadres, revenant parfois sur leurs premières déclarations, décrivent certes un univers violemment concurrentiel dont les règles du jeu, « sans dépasser la ligne jaune », étaient parfaitement claires. A se demander presque pourquoi, ce dossier colossal de près de 30 tomes se retrouve aujourd'hui devant le tribunal…
Méthodes viriles
Ainsi, celui qui dénonçait pendant sa garde à vue « le ratissage nauséabond » de la banque suisse en France est revenu sur ses propos. Cet autre qui fustigeait les méthodes « viriles » des chargés d'affaires suisses que les juges d'instruction soupçonnent d'être venus en France pour chasser les riches clients ? Business as usual.
Le premier, Hervé d'Halluin, chef de bureau d'UBS France à Lille entre 2005 et 2008, a regretté lundi avoir été « excessif » dans ses déclarations. Pour le second, Patrick de Fayet, l'exercice est encore plus délicat. L'ancien directeur commercial d'UBS France (2004-2009) a vainement tenté de négocier pendant l'instruction un « plaider coupable » : tout en reconnaissant les faits, il s'évitait le procès mais rendait difficile la défense de la banque qui nie depuis le début toute activité illicite.
Aller à la chasse
A la barre, Patrick de Fayet, la voix assurée, vient « planter le décor » : « On est dans un monde d'argent, c'est la guerre. Je ne connais personne sur terre qui travaille gratuitement, surtout quand on connaît les systèmes de bonus et d'intéressement ». Alors le chargé d'affaires (CA) d'UBS France « s'il veut avoir des bonus, soit il va draguer son ancien fonds de commerce, soit il va aller à la chasse », explique-t-il. Dès lors, forcément, il pouvait y avoir « des frictions » avec les CA suisses qui « venaient voir leurs clients ».
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« Il faut entretenir les liens, sinon c'est le copain de la banque d'à côté qui vous pique votre client », insiste-t-il. Pas question donc de démarchage illégal. C'est d'ailleurs pour éviter les frictions qu'il a mis en place les fameux « carnets du lait », pour collecter les reconnaissances d'affaires avec les Suisses. C'était un « outil d'évaluation » des bonus dus à ses CA en France. Les juges d'instruction pensent au contraire qu'il s'agissait d'une comptabilité occulte pour les avoirs éludés au fisc français. Ce que nie l'ancien directeur commercial.
Complex et simple money
La présidente, Catherine Mée, lui rappelle cependant que c'est lui pourtant qui a expliqué aux enquêteurs la différence entre « simple money », de l'argent non déclaré, et « complex money », de l'argent déclaré au fisc français, donc plus complexe à gérer. Aujourd'hui l'ex-numéro 2 d'UBS France a la mémoire qui flanche. « Je regrette cette déclaration, elle va au-delà de ce que je pouvais savoir », dit-il. Et assure : « Je ne suis pas un spécialiste du secret bancaire suisse. »
La présidente insiste et s'interroge cependant sur les « synergies, coopération, coordination » entre UBS AG et sa filiale française et « la forte demande de la maison mère » : « comment distinguer les prospects des clients ? », c'est-à-dire de potentiels futurs clients, qu'UBS AG n'avait pas le droit de démarcher faute de licence spécifique. La question est au coeur du procès.
Patrick de Fayet hausse imperceptiblement les épaules : les Suisses, dit-il, « avaient plus de clients que nous en France, ils étaient là depuis un siècle ! ». « Alors quel intérêt d'avoir une succursale française ? » demande faussement incrédule la magistrate.
L'audience reprendra lundi.
Valérie de Senneville