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Cofco International, le chinois qui voulait nourrir le monde

+VIDEO. Conçu pour assurer l'approvisionnement de la Chine en denrées agricoles, la filiale du conglomérat géant Cofco est partie à l'assaut du négoce mondial. La guerre commerciale avec les Etats-Unis en fait un acteur clef.

Par Muryel Jacque

Publié le 25 oct. 2018 à 14:51

« D'ici à 2050, nous serons plus de 9 milliards sur Terre. Face à la croissance démographique et à la demande des marchés émergents, la production et le commerce des grands produits agricoles doivent continuer à augmenter. Nous sommes déterminés à jouer un rôle de premier plan dans le système alimentaire mondial. » En cette fin mars, à Lausanne, Jingtao Chi, le directeur général de Cofco International, est là pour convaincre les participants triés sur le volet du FT Global Commodities Summit : la volonté de la branche internationale du plus grand conglomérat alimentaire chinois, Cofco Corporation, est intacte.

Pin's aux couleurs de sa société épinglé au costume, « Johnny » Chi est venu sur les bords du lac Léman bien décidé à dissiper « des malentendus ». Il est le seul des intervenants à ce mini-Davos des matières premières à ne pas s'exprimer en anglais, la langue des traders, fait-on discrètement remarquer. Il lit son allocution en mandarin. Et on a déjà prévenu l'auditoire : il n'y aura pas de questions-réponses. Soit. Pourtant, contrairement à ce que certains imaginaient après une année compliquée pour la société, l'ambition est réaffirmée haut et clair« Nos concurrents sont établis depuis des siècles. Nous essayons de créer un acteur mondial de premier ordre dans une fraction de ce temps. »

Un approvisionnement à sécuriser

Le patron de Cofco International ne dira pas combien de temps cette fraction va durer. Mais il est probable que la société chinoise ne procédera pas comme les géants du trading agricole avec lesquels elle entend rivaliser, les américains Archer Daniels Midland (ADM), Bunge et Cargill, et l'européen Louis Dreyfus Company - surnommés ensemble les « ABCD ». « Ils ont envie de bien faire. Il n'y a pas de raison qu'ils n'y arrivent pas », avise un bon connaisseur de l'entreprise. « Le point fondamental est de comprendre d'où ils viennent », dit un observateur. La maison mère, Cofco (pour China National Cereals, Oils and Foodstuffs Corporation) est un mastodonte d'Etat fondé en 1949. Sa filiale, Cofco International, est chargée des importations et des exportations chinoises de produits agricoles, une pure administration.

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Vers 2010, le gouvernement prend conscience que le pays est très dépendant des importations, sans vraie sécurité alimentaire. C'est emblématique : la Chine consomme désormais plus de riz que ses terres n'en produisent. Les stocks agricoles qui ont été constitués sont pléthoriques, ils s'abîment, leur gestion coûte une fortune. Avec près de 1,4 milliard d'habitants, la sécurité alimentaire en Chine relève de la sécurité nationale. L'émergence d'une classe moyenne, les changements d'habitudes alimentaires - comme un appétit grandissant pour la viande - ont bouleversé la donne dans ce pays qui n'importait quasiment pas de céréales quelques années auparavant. Pékin décide d'aller en amont et d'acheter des terres à l'étranger. L'initiative chinoise passe affreusement mal. Germe alors l'idée de faire de la branche import-export de Cofco un véritable négociant, le propre trader du pays.

Le décryptage en vidéo

L'influence du supercycle

A cette époque, le supercycle des matières premières bat son plein. Entamé fin 2001, ce mouvement centré sur l'ascension économique fulgurante de la Chine est en train d'emmener les prix des ressources naturelles vers des sommets. Les « ABCD » gagnent des milliards de dollars à acheminer aux quatre coins du globe blé, soja, sucre, café ou coton. « La stratégie de Cofco s'est mise en place sous cette influence du supercycle, à un moment où le trading était très lucratif », spécifie Jean-François Lambert, consultant chez Lambert Commodities.

Son premier achat hors des frontières, Cofco le réalise en Australie, en 2011, avec un gros producteur de sucre, Tully Sugar. Puis, il aurait songé à acquérir une participation minoritaire dans Louis Dreyfus Commodities (aujourd'hui Louis Dreyfus Company), mais sans aboutir. Le groupe va donc bâtir ses activités à l'étranger en mettant la main, à quelques mois d'intervalle en 2014, sur deux acteurs de taille moyenne, Nidera, un trader néerlandais de céréales, puis Noble Agri, la filiale agricole de Noble Group.

Cofco dépensera plus de 3 milliards de dollars pour en prendre le contrôle. « Ils ont surpayé », convient un expert du secteur. « Mais il y a un coût à s'internationaliser. » Les gros chèques donnent accès aux plus grandes régions productrices de la planète : l'Amérique du Nord, la mer Noire, l'Australie et, surtout, l'Amérique du Sud, qui abrite le grenier à soja du monde, le Brésil. Le soja est une source de protéines cruciale pour la Chine, qui en est le premier importateur mondial. Viennent avec des installations portuaires, des silos et des entrepôts, ou encore des raffineries. Cofco recrute aussi de grandes figures du trading mondial pour gérer ses activités dans le sucre, le coton, les céréales et les oléagineux, le café ou le fret. Il envisage d'ici à quelques années d'entrer en Bourse.

Mais les choses se gâtent. Digérer Nidera et Noble Agri s'avère difficile, créer une seule culture aussi. L'intégration prendra trois ans, dans la douleur, avec de nombreuses pertes d'emplois, selon Reuters. En 2015, Cofco découvre un trou comptable de 150 millions de dollars dans les opérations latino-américaines de Nidera et une perte de 200 millions causée par un « trader malhonnête » au sein du desk de trading de biocarburants. Le secteur du négoce agricole traverse en outre une mauvaise période : l'abondance des récoltes sur le globe a fait chuter les prix, les marges fondent, la compétition s'intensifie.

Exigence de rentabilité

L'année 2017 démarre de façon plus abrupte encore. L'Américain Matthew Jansen, qui avait pris les rênes de Cofco International à l'été 2016, démissionne, suivi par d'autres. Un nouveau coup dur pour le groupe chinois. Beaucoup dans l'industrie ont alors pensé qu'il renocerait à son projet de bâtir un marchand agricole mondial pour se recentrer sur le seul approvisionnement de la Chine. « Nous avons fait une pause pour nous concentrer sur nos nouvelles activités », expliquera simplement Johnny Chi, le nouveau patron, lors du FT Global Commodities Summit. Avant d'assurer que 2018 serait une année de développement.

En juin dernier, Cofco International a inauguré son siège à Genève, haut lieu du négoce. « Ils sont en train de créer une très grosse machine dont le but est de se rendre incontournable dans le trading entre Genève et la Chine », décrit un spécialiste du métier. Mais le groupe n'est pas au bout de ses peines. D'après Bloomberg, Cofco aurait perdu plus de 100 millions de dollars à cause de paris malencontreux sur les marchés agricoles et la direction aurait demandé à ses traders de prendre moins de risques. La perte pourrait être compensée par l'argent tiré de la vente d'une filiale de semences à Syngenta l'an passé. Reste que la société devra montrer des résultats puisqu'elle a des actionnaires qui incluent la société chinoise de « private equity » Hopu, le fonds souverain chinois CIC et le fonds singapourien Temasek, la Banque mondiale, via son bras d'investissement privé l'IFC, et la banque Standard Chartered.

La guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine s'est aussi invitée dans l'histoire. La Chine doit désormais chercher à diminuer sa dépendance par rapport aux produits agricoles américains. Dans ce contexte, Cofco International peut avoir un rôle clef dans la redistribution des sources d'approvisionnement chinoises, estime Jean-François Lambert. « Entre le moment où ils ont fait tout ce travail d'expansion et aujourd'hui, il y a un nouvel agenda. Il s'agit d'alimenter tout un pays et d'être rentable. »

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Cofco International en chiffres

Près de 12.500 personnes dans 35 pays.Un chiffre d'affaires de 34 milliards de dollars.Plus de 105 millions de tonnes acheminées vers plus de 50 pays en 2017.60 % des actifs se trouvent en Amérique du Sud. (Au Brésil, Cofco loue et gère plus de 170.000 hectares de plantations de canne à sucre.)Dans moins de 5 ans, Cofco veut doubler le volume acheté en direct aux agriculteurs. Aujourd'hui, les trois-quarts sont achetés à d'autres négociants.Cofco voit de « grandes opportunités » pour se développer en Asie du Sud-Est et au Moyen-Orient. Il continuera aussi à investir en Amérique du Nord et en mer Noire.

Muryel Jacque 

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