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Bernard Madoff, l'ascension et la chute du docteur Faust de Wall Street

Il fut l'artisan de la plus grande pyramide de Ponzi, qui opéra pendant près de deux décennies, et fit des milliers de victimes.

Bernard Madoff, président de Bernard L. Madoff Investment Securities, dans ses bureaux à New York, le 30 décembre 1999.
Bernard Madoff, président de Bernard L. Madoff Investment Securities, dans ses bureaux à New York, le 30 décembre 1999. (Ruby Washington/NYT-Redux-REA)

Par Nessim Aït-Kacimi

Publié le 11 déc. 2018 à 11:50Mis à jour le 11 déc. 2018 à 16:32

« Je suis un homme bon. Comment ai-je pu en arriver là ? Je gagnais bien assez d'argent pour mon style de vie et celui de ma famille. » (1) Depuis sa prison de Butner, Bernard Lawrence Madoff, poursuit sa thérapie dans son dialogue avec Steve Fishman, journaliste du « New York Magazine », le seul auquel il a accordé un entretien.

Peu intéressé par la finance et la Bourse, Bernard Lawrence Madoff a fait des études de sciences politiques. La faillite de son père, inventeur du « punching bag Joe Palooka » (un des sacs d'entraînement des boxeurs), le traumatise. Il en tira un désir de revanche sur le destin. En parallèle de ses études il monte une petite affaire de systèmes d'arrosage. Il a été sauveteur sur une plage de Long Island certains étés, économisant 5.000 dollars qu'il allait investir dans sa future société, Bernard Madoff Investment Securities.

Le marché est manipulé

Il ne sent pas à sa place à Wall Street. « J'étais un petit juif de Brooklyn », sans connexions ni diplôme. « J'ai tout de suite compris que le marché était manipulé », aux mains des grandes firmes. Impressionné par ses débuts, son beau-père lui accorde un prêt et devient son rabatteur de clients en échange de commission. « Bernie » peut vous faire gagner 18 % par an, leur assure-t-il. Il n'a pas encore sa licence de gestionnaire. S'il a moins de 15 clients, il peut s'en passer, la Securities and Exchange Commission (SEC), le régulateur, accordant une exemption. Bernard Madoff n'en a cure. Il va dépasser cette limite et grossir les rangs des gestionnaires de l'ombre illégaux sans le moindre permis. Son fonds caché va devenir la plus grande pyramide de Ponzi de l'histoire.

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« Keep it simple, stupid ! »

Il commence aussi (2) à prendre ses distances avec la réglementation boursière et le droit en dissimulant les pertes de la vingtaine de clients qu'il avait aiguillés vers des placements aventureux. En 1960, à vingt-deux ans, il avait monté sa société de courtage sur le plus risqué et le moins régulé des marchés boursiers américains, le hors-cote. On pouvait y faire fortune ou faillite très vite. Madoff gestionnaire garantissait au moins 20 % à ses clients. Quand il n'y parvenait pas, il piochait dans le compte bancaire de sa société de courtage. Lorsqu'il avait besoin d'argent pour cette dernière, il prélevait l'argent de ses investisseurs. Ce mouvement de vases communicants, base de sa pyramide de Ponzi, va devenir sa marque de fabrique. Madoff courtier et Madoff gérant ne feront plus qu'un. Il résumait sa philosophie sous l'acronyme de « KISS » pour « Keep it simple, stupid ! » (« Ne compliquez pas les choses, idiots ! »).

Recette secrète

Dans les années 1970, « le contraste entre l'état déprimé de Wall Street et les performances apparemment très bonnes de Madoff, lui permit de bâtir sa réputation de trader » (2). Il expliquait sa méthode dans les grandes lignes afin de ne pas donner des idées à ses concurrents. Il achetait des actions, des grandes valeurs de l'indice Standard & Poor's 100, et limitait ses risques de perte au travers d'options.

Quand la Bourse chutait, il se rabattait sur les obligations d'Etat et revenait vers les actions quand Wall Street remontait. Des explications qui suffisaient à son « coeur de cible », des particuliers aisés peu au fait des marchés. Il générait à cette époque des rendements de 15 à 20 %, « légalement », insiste-t-il.

VIDEO. La pyramide de Ponzi : histoire d'une escroquerie qui continue de faire des victimes

Rapide comme l'éclair

« Une des clefs de son succès résidait dans l'efficacité et la rapidité de ses opérations. Il anticipa le rôle majeur qu'allaient jouer les ordinateurs dans l'industrie financière » (3). Bernie Madoff fut ainsi l'un des premiers traders haute fréquence de l'histoire. Il rémunérait les conseillers en investissement pour qu'ils passent leurs ordres chez lui.

Plus rapide que les autres loups de Wall Street, il a pu engranger des profits considérables pour sa société de courtage, la vitrine légale qui cachait ses autres activités délictueuses. Il fut un des cinq premiers courtiers à rejoindre le marché électronique du Nasdaq à sa création en 1971. Il en deviendra le président entre 1990 et 1993.

Le tournant du krach de 87

Au-dessus de tout soupçon, il siégea même à des comités consultatifs de la SEC. Elle le félicita d'être resté ouvert lors du krach du 19 octobre 1987 au service de ses clients. Le régulateur ignorait que c'est grâce aux liquidités fantômes de son hedge fund caché qu'il put continuer à fonctionner.

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C'est après ce krach que la mécanique infernale de la pyramide de Ponzi s'est enclenchée, soupçonne la justice, et ce, bien que Madoff ait déclaré que ce fut quatre ans plus tard. A ce moment, il gérait 5 milliards de dollars. Des investisseurs inquiets sortirent de son fonds et pour leur rendre leur argent il utilisa les fonds que venaient de lui déposer de nouveaux clients. Prendre à l'un pour donner à l'autre, ce principe de la pyramide de Ponzi, il en fit son fonds de commerce pendant vingt ans.

Après les particuliers, il attire l'attention des grandes institutions. « Le président de Banco Santander est venu me voir, puis celui du Credit Suisse et d'UBS. Des milliards ont afflué. Cela a dopé mon ego », se remémore-t-il. Il leur assurait des performances de 15 % alors qu'il investissait sur des obligations qui délivraient 2 %. « J'avais trop peur de leur dire que j'avais échoué. »

17e étage

Dans les années 1990, sa société de courtage de 120 collaborateurs générait près de 100 millions de dollars de profits par an et ne cessa de grandir. A côté, il gérait toujours en sous-main son hedge fund caché de 8 milliards de dollars. Les fonds qui y investissaient avaient pour consigne de ne pas le mentionner dans leurs documents.

Il occupait un étage à lui seul et avait son propre système informatique. Seule une douzaine d'employés supervisés par son homme de confiance Frank DiPascali y avaient accès. « Ne pas entrer. Ne pas nettoyer », indiquait un écriteau sur la porte de la salle des marchés secrète. Obsessionnel et maniaque, il exigeait que tout soit impeccable. Aucune trace ne devait permettre de remonter jusqu'à lui.

Affaire classée

En 1999, il est démasqué. Il aura fallu 4 heures d'analyse au gérant de hedge fund Harry Markopolos pour deviner l'escroquerie. Trois mois de baisse sur une période de 87 mois étaient impossibles à réaliser sur la stratégie vantée par Madoff. Il alerte la SEC, qui débordée par 13.600 plaintes, ne donne pas suite.

Ce n'est qu'en 2004, après de nouvelles alertes, que ses inspecteurs se rendent dans les bureaux de Madoff. Bernie a réponse à tout et assure que son fond a moins de 15 clients, sous le seuil qui exige une licence. C'est une figure reconnue et respectée de Wall Street alors que Markolos est perçu comme un petit concurrent jaloux et intéressé. Affaire classée.

Une faveur

Grâce à ses rendements réguliers et peu volatils en toutes circonstances, sa pyramide de Ponzi attira de nombreux investisseurs. Avoir son argent géré par Madoff était un signe de distinction et de réussite car son fonds était en permanence fermé quand les nouveaux clients se pressaient à sa porte. Madoff leur accordait une faveur en acceptant leur argent. Charmant et charismatique, il sut créer l'envie et l'impatience dans le gotha mondain.

Elie Wiesel, dont la fondation perdit 15,2 millions de dollars, évoqua un dîner avec Bernie. « Nous n'avons pas parlé des marchés financiers. Nous avons parlé d'éthique. Madoff se présentait comme un philanthrope. » En 2005, son stratagème faillit être mis à jour une fois de plus, mais il trouva in extremis de nouvelles liquidités à injecter dans son escroquerie. Courant les galas de charité, il parvenait à attirer de nouveaux clients attirés par les rendements de « Monsieur 10 % ».

« Monsieur 10 % »

Entre décembre 1990 et octobre 2008, sa performance annuelle était de 10,5 %. Il faisait mieux que l'indice Standard and Poor's 500 (+9,6 %) tout en étant six fois moins volatile. La performance passe sous la barre des 10 % dans la décennie 2000. Sa meilleure année est 1992 (+13 %) et sa pire en 2004 (+6,3 %). Sur 215 mois, seuls 13, soit 6 %, ont été dans le rouge, et jamais en décembre, le cadeau de Noël de « Bernie ». Sa dernière performance a été de -0,06 % en octobre 2008.

« Tout va bien »

C'est la plus grande crise financière de l'histoire qui mettra un terme à la plus grande pyramide de Ponzi de l'histoire. Le 15 septembre 2008, la faillite de Lehman Brothers provoque une onde de choc sur les marchés mondiaux et jusqu'au « Lipstick Building » (littéralement le « building rouge à lèvres »), où se trouvent les bureaux de Madoff. Inquiets, les clients veulent savoir s'il est exposé à la banque américaine en faillite. Il les rassure. Tout va bien. Bank Medici, une institution autrichienne, demande à retirer une partie de son investissement. Des fonds vont l'imiter et les demandes de retrait s'accumulent.

Bernie sort son chéquier. Il préfère rendre le peu d'argent qui lui reste encore à ses proches et à sa famille, qu'il avait entraînés dans sa périlleuse aventure. Il vide les caisses et décide d'avancer le paiement des 173 millions de dollars de bonus promis à ses employés, et qui devait être versé en février.

Dernier coup de poker

Quand les clients réclamèrent en masse leur argent, près de 7 milliards de dollars, il ne peut plus se dérober. Il ne détient plus que 266 millions de dollars. Passé maître dans l'art du faux, il avait artificiellement gonflé ses capitaux et avait tout perdu. Les clients font face à 19 milliards de dollars de pertes.

Il tente un dernier coup de poker, lancer un nouveau hedge fund de 500 millions de dollars pour récupérer du cash. Il échoue. Son fonds qui était censé avoir moins de 15 clients, en avait en réalité près de 5.000.

« Surtout ne parlez pas ! »

A 7h30, le 11 décembre 2008, l'agent du FBI, Ted Cacioppi, procédera à l'arrestation de Bernard Lawrence Madoff à son duplex de 7,4 millions de dollars de Lexington Avenue. « Je sais pourquoi vous êtes là », lui lança Bernie, encore en pyjama. « Nous voulons savoir s'il y a une explication légitime à tout cela. »« Il n'y a aucune explication légitime », répondit le financier.

Son unique coup de fil autorisé sera pour son avocat, Ira lee Sorkin, une star du barreau et un ancien directeur de la branche new yorkaise de la SEC. « Ne dites rien. Surtout ne parlez pas ! », lui conseilla l'avocat. Il tint parole. Il livra le moins de détails et d'explications possibles. Il déclara avoir agi seul.

65.000 plaintes

Des investisseurs (particuliers, institutionnels, hedge funds, fondations, banques privées…) vont déposer 65.000 plaintes. Le 12 mars 2009, il plaida coupable de 11 crimes fédéraux et renonça à un procès. Il lit une courte déclaration. George Nierenberg, une des victimes présente dans la salle et autorisée à prendre la parole, lui lança. « J'ignore si vous avez eu la chance de vous retourner pour regarder vos victimes dans les yeux ! ». Bernard Lawrence Madoff jeta un bref coup d'oeil au-dessus de son épaule. Il sera condamné le 29 juin à 150 années de prison.

Nessim Aït-Kacimi

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