Dans la grande course vers l'avion à propulsion hydrogène, il y a deux grands types de concurrents. Les poids lourds, comme le géant Airbus qui espère faire décoller un appareil propulsé à l'hydrogène liquide dès 2035. Et une multitude d'acteurs moins connus, mais pas forcément moins ambitieux. Parmi ceux-là, la start-up américaine ZeroAvia, fondée en 2017, apparaît déjà comme un des favoris de la compétition. Soutenu depuis 2020 par le fondateur d'Amazon, Jeff Bezos, et celui de Microsoft, Bill Gates, le groupe californien a encore levé, en décembre dernier, 35 millions de dollars auprès des compagnies aériennes United Airlines et Alaska Airlines, portant sa levée de fonds totale à 115 millions de dollars.
Les start-up américaines, premières sur la piste
La jeune pousse américaine développe un système pour transformer des avions à motorisation thermique en appareils propulsés par une pile à combustible. Le premier vol d'un Dornier 328 ainsi modifié est prévu au cours des prochaines semaines, ce qui ouvrira la voie à la commercialisation d'un premier appareil zéro émission de 10 à 20 sièges dès 2024, puis d'avions régionaux de 40 à 80 places entre 2026 et 2028, notamment un jet régional Dash 8 converti à l'hydrogène. "Le challenge est énorme, il faudra des décennies pour convertir tous les appareils", reconnaissait fin mars sur Bloomberg TV le fondateur et directeur général de la société, Val Miftakhov. ZeroAvia, qui a installé l'essentiel de ses équipes en Angleterre, n'est évidemment pas seul sur le créneau.
En 2020, la start-up a vu arriver sur ses plates-bandes une autre jeune pousse ambitieuse, Universal Hydrogen, lancée par l'ancien directeur technique d'Airbus, Paul Eremenko. Comme son rival, la société californienne propose de convertir des avions classiques à l'hydrogène, mais avec une innovation qu'elle estime décisive pour s'imposer sur le marché: un système de capsules d'hydrogène, qui s'installe à l'arrière du fuselage d'avions existants, en remplaçant trois rangées de sièges. Le principe de ces capsules, c'est le plug & play: elles peuvent être facilement remplacées entre chaque vol. Les capsules vides sont inspectées et remplies à nouveau. "Nous sommes la capsule Nespresso de l'hydrogène", résume Paul Eremenko. La start-up se concentre sur la conversion de deux modèles d'avions régionaux: le Dash 8 du canadien De Havilland, et l'ATR 72 de l'avionneur franco-italien ATR.
Deux levés de fonds en moins de deux ans: 85 millions de dollars
La start-up, qui prévoit de premières livraisons en 2025, a connu un démarrage spectaculaire. Elle a bouclé deux levées de fonds en moins de deux ans, pour un montant total de 85 millions de dollars, attirant notamment à son tour de table le californien Playground Global, GE Aviation, Airbus Ventures, le japonais Mitsubishi, le chinois Tencent, la compagnie américaine JetBlue et Toyota.
Le décollage commercial a été tout aussi fulgurant. Les kits de conversion d'Universal Hydrogen ont déjà été commandés par le français Amelia, Icelandair l'espagnol Air Nostrum, les américains Ravn Alaska et Connect Airlines, l'irlandais ASL Aviation ou le loueur Acia Aero Leasing. Le groupe, qui installe actuellement un centre d'ingénierie à Toulouse, vise une certification de son système et une entrée en service des premiers appareils en 2025.
L'équipe d'Allemagne vise le titre mondial
Les Américains ne sont évidemment pas seuls sur le créneau. De l'autre côté de l'Atlantique, c'est une véritable équipe d'Allemagne de l'aviation à hydrogène qui en train de se mettre en place, rassemblant le laboratoire de recherche aérospatiale public allemand DLR, des start-up comme H2Fly et l'avionneur Deutsche Aircraft. Cette "Mannschaft" de l'hydrogène s'est fixé un objectif ambitieux: développer un démonstrateur d'avion régional de 40 places, à propulsion hydrogène, dont le premier vol est prévu en 2025. Le programme, soutenu à hauteur de 30 millions d'euros par le ministère de l'Economie, vise à modifier un appareil à moteur thermique classique, un Dornier 328, pour le doter de piles à combustible d'une puissance totale de 1,5 MW.
L'Allemagne ne part pas de zéro sur l'hydrogène dans l'aviation. Dès 2009, le DLR avait fait voler un premier démonstrateur d'avion à piles à combustible, Antares. En 2015, un spin-off est créé, H2Fly, pour poursuivre les travaux sur la motorisation hydrogène. En 2019, c'est un avionneur, Deutsche Aircraft, qui est créé pour ressusciter le Dornier 328, fierté de l'aviation allemande. Les partenaires visent une entrée en service de sa version hydrogène en 2028. Ce dernier affichera un rayon d'action de l'ordre de 2.000 km. Berlin ne cache pas son ambition: devenir un leader mondial de l'aviation décarbonée. "Avec ce projet, nous avons l'opportunité unique d'accroître, ici en Allemagne, notre avantage technologique sur l'aviation à hydrogène", assurait début avril Anna Christmann, coordinatrice du gouvernement allemand pour le secteur aéronautique et spatial. Le Dornier 328 modifié n'est d'ailleurs considéré que comme une étape vers un avion plus gros, de 100 sièges, nécessitant une puissance totale de 6 MW.
Beyond Aero
Et la France dans tout ça? Si l'on exclut le géant Airbus, pas vraiment comparable aux start-up du segment, elle ne compte qu'un projet d'avion à hydrogène: celui de Beyond Aero. Installée sur l'ancienne base aérienne de Toulouse-Francazal, la jeune pousse, créée fin 2020 par trois anciens de l'Isae-Supaero, Polytechnique et Berkeley, travaille sur un appareil de six à dix places, propulsé par une pile à combustible, qui afficherait un rayon d'action de 1.850 km.
Blériot, le premier démonstrateur de Beyond, est un ULM modifé propuslé par un moteur à hydrogène. (photos: sdp/zeroavia - sdp/g1 aviation)
Soutenue par l'accélérateur Blast, fondé par Starburst, l'Onera et l'X, elle travaille sur un premier démonstrateur, Blériot, un ULM à propulsion hydrogène qui devrait voler avant la fin de l'année. Si elle n'a pas les moyens énormes de ZeroAvia, la start-up assure ne nourrir aucun complexe. "Nos concurrents convertissent des avions classiques à l'hydrogène, souligne Eloa Guillotin, cofondatrice de la société. De notre côté, nous dessinons d'une feuille blanche un avion totalement adapté à cette motorisation, qui sera plus efficace." Décollage prévu d'ici à 2030.