TikTok et Facebook

Si Facebook et Instagram sont respectivement trois et deux fois plus gros, TikTok domine par son usage.

Jakub Porzycki / NurPhoto via AFP

Une note interne de Meta, la maison mère des réseaux Facebook, Instagram et de l'application de messagerie WhatsApp, parue fin avril vient de fuiter. Tom Alison, le patron de Facebook, y explique clairement ses intentions : plutôt que de prioriser les publications des comptes que les gens suivent, le flux de Facebook recommandera désormais des publications émanant d'étrangers, à la façon de TikTok. En outre, huit ans après la séparation entre Messenger et Facebook, les deux applications seront réunies, pour imiter la fonctionnalité de messagerie de son rival. En septembre dernier, avec Reels, Facebook avait déjà dupliqué sa fonction de clips vidéo. Mais sous l'impulsion du PDG, Mark Zuckerberg, le géant californien a visiblement décidé de passer à la vitesse supérieure, en repensant entièrement le mécanisme de recommandation de Facebook.

Publicité
LIRE AUSSI : Frances Haugen : "Le métavers de Facebook est une bombe à retardement"

Il faut dire que la menace est chaque jour plus forte. TikTok, l'application vidéo à succès du chinois ByteDance est en passe de tripler ses revenus cette année pour atteindre 12 milliards de dollars, soit plus que Twitter et Snap réunis, trois ans seulement après avoir déployé la première publicité sur sa plateforme. Alors que Meta et Alphabet (Google) étaient perçus sur le marché de la publicité en ligne comme un duopole d'airain, que les autorités de la concurrence en Europe comme aux Etats-Unis avaient dans le viseur, TikTok vient rebattre les cartes. Lors de l'annonce de résultats financiers jugés décevants, Mark Zuckerberg a cité son nom pas moins de cinq fois devant les analystes. Il faut dire qu'elle a été l'application la plus téléchargée l'année dernière, avec plus de 1 milliard d'utilisateurs dans le monde, consommant de façon effrénée un flux de courts clips. Si Facebook et Instagram sont respectivement trois et deux fois plus gros, TikTok domine par son usage. Selon Data.ai, un utilisateur Android américain moyen passera vingt-neuf heures par mois sur TikTok, en hausse de 26%, contre seize heures sur Facebook, en baisse de 8%. Même en ajoutant les huit heures d'Instagram, Meta est derrière. C'est encore pire chez les utilisateurs d'iPhone, public plus jeune. Au cours des trois premiers mois de cette année, ils ont passé en moyenne 78 % de temps en plus sur TikTok que sur Facebook.

La force de TikTok, son algorithme

En toute logique, cette audience XXL lui permet de capter une part de plus en plus importante des budgets médias, en reproduisant les recettes qui ont fait son succès en Chine. Bytedance, basé à Pékin, exploite depuis dix ans une version chinoise de la plateforme TikTok, Douyin, qui compte déjà plus de 600 millions d'utilisateurs et a généré environ 58 milliards de dollars l'année dernière. La société réclame désormais jusqu'à 2,6 millions de dollars pour la diffusion d'une annonce sur la page d'accueil de TikTok pendant une journée, pas loin de quatre fois ce qu'elle facturait il y a un an. En outre, elle se diversifie dans la distribution de musique, l'édition de jeux vidéo et le commerce électronique, brouillant la frontière entre les médias sociaux et les achats en ligne.

La force de TikTok, c'est que son algorithme propose à ses utilisateurs à la fois les contenus produits par les gens qu'ils suivent mais aussi des contenus venant d'illustres inconnus. Cette curation est effectuée en discernant les goûts d'un utilisateur à partir de son activité sur la plateforme. Cette dernière a un rôle de promotion quasi aléatoire favorisant l'émergence de créateurs débutants et nourrissant un vivier de talents infinis. Cette puissance d'analyse interne l'a préservée lorsque Apple a mis à jour son système d'exploitation iPhone l'année dernière, limitant la possibilité de suivre les utilisateurs sur d'autres applications. Facebook qui nourrit son profilage publicitaire grâce à de tels outils a, lui, été durement touché.

Depuis le début de sa courte histoire, l'une des principales forces de Facebook a été de neutraliser ses concurrents en copiant impitoyablement leurs fonctionnalités les plus innovantes. Cela a marché face à Snapchat, avec le produit Stories. Mais faire d'une page de découverte le nouveau point d'entrée sur le réseau social constitue un changement radical, qui n'est pas sans générer des inquiétudes. En prenant ce virage, certains redoutent que le groupe américain perde en chemin ce qui a fait sa force : le lien entre les communautés, laissant le champ libre à un futur concurrent... La tech, cet univers impitoyable.

Publicité