Un téléphone avec une photo d'Elon Musk avec en fond le logo Twitter, le 4 octobre 2022, à Washington

Un téléphone avec une photo d'Elon Musk avec en fond le logo Twitter, le 4 octobre 2022, à Washington.

afp.com/OLIVIER DOULIERY

Semaine agitée pour les multiples personnalités d'Elon Musk. Vendredi dernier, l'ingénieur-star a lancé deux prototypes de robots humanoïdes peu convaincants. Mardi, le "tweetos" aux 100 millions d'abonnés a proposé un plan de paix très critiqué pour la guerre en Ukraine. Et mercredi, l'entrepreneur capricieux a finalement décidé de racheter Twitter au prix initialement convenu après de multiples rebondissements. Qu'attendre de demain ?

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Musk a déjà une nouvelle lubie. "L'achat de Twitter est un accélérateur pour créer X, l'application de tout", a mystérieusement tweeté l'homme d'affaires. L'expression "application de tout" est une référence aux "super apps" chinoises que sont notamment WeChat ou Alipay. Les deux pastilles, les plus populaires sur place, se distinguent en effet comme des portails regroupant de multiples fonctionnalités : messagerie, réseau social, shopping, paiement. Entre autres.

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Que sait-on de X ? D'abord qu'il s'agit d'une véritable compagnie fondée par Musk en Californie en 1999, après avoir vendu Zip2, sa toute première aventure entrepreneuriale. La société s'imaginait déjà comme une "super app" bancaire pouvant accueillir des dépôts, des assurances ou des prêts hypothécaires. Inédit à l'époque. Le site X.com, à ses débuts, s'était lancé en offrant 20 dollars à toute ouverture d'un compte courant en ligne, une méthode marketing qui rappelle celles des néobanques comme Boursorama des années plus tard. Le succès de X est modeste et sa durée de vie plutôt courte : l'entreprise se fond dans ce qui allait devenir PayPal, la célèbre application de paiement sur Internet, un temps pilotée par eBay avant de devenir indépendante en 2015.

En 2017, un mystérieux site X.com réapparaît en ligne, sans contenu, hormis une croix "x" installée dans le coin gauche de l'écran. Nouveau trou noir. Jusqu'à l'offre faite à Twitter. En mai, une note en rapport avec le rachat du groupe mentionne les projets d'un nouvel abonnement "X" avec un objectif de plus de 100 millions d'utilisateurs d'ici à 2028. "J'ai une sorte de grande vision pour ce que X.com ou l'entreprise X aurait pu être (...) Je n'ai pas besoin de Twitter, mais Twitter pourrait probablement l'accélérer de trois ans. Je pense que c'est quelque chose qui pourrait être très utile pour le monde", avait-il aussi déclaré lors de l'assemblée générale de Tesla en août.

Un modèle difficile à dupliquer

Twitter pourrait donc s'imbriquer dans X. Ou l'inverse. En tout cas, le pari est osé : les "super apps" sont relativement rares. Avant tout parce que le modèle WeChat ou Alipay demeure difficile à dupliquer en dehors de la Chine. "Le pays dispose d'un marché à la fois conséquent et très peu concurrentiel. Les compagnies occidentales n'y sont d'ailleurs pas les bienvenues. En Europe ou aux Etats-Unis, le contexte politique n'est pas le même. Et économiquement, des entreprises différentes dominent pour chaque type de marché, que ce soit Amazon dans le e-commerce, Meta pour les réseaux sociaux ou encore Apple pour le paiement. Les régulateurs y sont particulièrement attentifs", explique Julien Pillot, professeur à l'Inseec, spécialiste en économie numérique.

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Un dirigeant d'une fintech française témoignait récemment à L'Express de la difficulté de fonder une "super app". Pour multiplier les services et les rendre efficaces, il faut pouvoir compter sur beaucoup d'utilisateurs. Twitter part de très loin : son application n'en compte "que" 230 millions, contre plus d'un milliard par exemple pour WeChat. Même Facebook, plus colossal encore, n'a jamais vraiment réussi à devenir une "super app" en dépit de sa volonté. Le groupe vient tout juste de lancer sa propre solution de paiement - Meta Pay - mais scinde toujours distinctement ses activités de messagerie et de réseau social. Snap a essayé, un temps, de rassembler au sein de son application des activités de commerce, de méditation, de streaming vidéo, et bien d'autres. Avant de dégringoler. Pour Musk, le timing n'est pas idéal. La tech souffre considérablement du ralentissement économique à l'oeuvre depuis la guerre en Ukraine. La concurrence y est rude et les investissements se tarissent. La fintech encore davantage : en Europe, un mastodonte comme Klarna a par exemple vu sa valorisation chuter de 85%, passant de 45,6 à 6,7 milliards de dollars.

Le retour en force de X.com témoigne en vérité du flou qui persiste autour des intentions de Musk. "J'ai une idée pour un système de médias sociaux basé sur la blockchain, qui ferait à la fois des paiements et des messages ou liens courts comme Twitter. Vous devez payer un petit montant pour enregistrer votre message sur la chaîne, ce qui coupera la grande majorité des spams et des robots. La liberté d'expression y sera garantie", indique un autre échange SMS de Musk à son frère Kimbal, le 9 avril, récemment exhumé par la justice américaine en marge du procès avec Twitter. Vers où Musk veut-il vraiment aller ? Vers une super app, un Twitter à la sauce Web3, les deux à la fois ?

Une double urgence

Au printemps, le patron de SpaceX avait surtout mis en avant son désir de sortir Twitter de la Bourse, de muscler sa politique d'abonnements et de le doter d'une modération plus souple. De quoi aider l'oiseau bleu à atteindre 26,4 milliards de dollars de chiffre d'affaires d'ici 2028, cinq fois celui en vigueur au moment de son rachat. Les nouveaux souhaits de Musk illustrent, peut-être, en dernier lieu, l'urgence à réinventer Twitter. Au second trimestre, les pertes nettes du réseau social se sont élevées à 270 millions de dollars. La société a perdu plus de 700 employés au cours du seul mois de septembre et beaucoup voient d'un très mauvais oeil la prise de fonction de Musk.

L'urgence est enfin personnelle. L'entrepreneur-star a déjà vendu pour 15,4 milliards de dollars d'actions Tesla pour financer sa nouvelle lubie. Selon l'analyste américain Dan Ives, cette saignée pourrait se poursuivre et fragiliser un peu plus le constructeur automobile. Le cours de Tesla chutait ce mercredi 5 octobre de plus de 5% en seulement 24 heures. Elon Musk paye au prix fort la fin du conflit judiciaire qui l'oppose à Twitter, suite à ses critiques sur la sous-estimation des faux comptes (ou spams/bots). Reste un motif d'espoir pour l'inventeur : "Les marchés ne perdent pas totalement confiance en sa capacité à relever n'importe quel défi", souligne également Julien Pillot. Le cours du réseau social a quant à lui immédiatement gagné plus de 22% en Bourse après l'annonce de son rachat. En dépit du grand flou qui entoure son avenir.

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