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Aéronautique

ASG, enquête sur le sulfureux partenaire d’Air France pour former les pilotes

EXCLUSIF - BAA Training, filiale du groupe lituanien ASG, vient de signer de gros contrats de formation de pilotes avec Air France et l'ENAC. Problème: ASG est accusé depuis des années de sympathies pro-russes. Enquête au long cours, où l'on croise la DGSI, l'opposant russe Mikhaïl Khodorkovski, et un diplomate basketteur.

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Un avion en maintenance chez Storm Aviation, filiale d'Avia Solutions Group

Un avion en maintenance chez Storm Aviation, filiale d'Avia Solutions Group

FL Technics

C’est un entrepôt comme un autre, au beau milieu d’une zone industrielle de Longjumeau (Essonne). Pourtant, c’est bien ici, à une quinzaine de minutes de l’aéroport d’Orly, qu’ouvrira début 2023 un des centres de formation de pilotes les plus modernes de France. Construit par le groupe lituanien BAA Training, ce site de 3.400 m2 de hangars et de bureaux accueillera 6 simulateurs de vols (A320neo, 737NG, long-courriers), mais aussi des équipements dédiés à l’entraînement contre les incendies en vol et l’évacuation d’urgence des cabines d’avions. Transavia France sera le premier client de ce centre de formation flambant neuf: quatre des six simulateurs seront dédiés à la filiale low-cost d’Air France, avec de premières formations prévues au deuxième trimestre 2023.

BAA, c’est l’acteur aéronautique qui monte en France. Inconnue du grand public, la filiale du groupe lituanien Avia Solutions Group (ASG) a signé coup sur coup deux accords majeurs avec des acteurs tricolores. En août 2021, elle annonçait avec Transavia la construction d’un nouveau centre de formation près d’Orly, le fameux site de Longjumeau. En novembre 2021, la société dévoilait un programme de formation commun avec l’ENAC (Ecole nationale de l’aviation civile), première école aéronautique d’Europe, institution publique sous tutelle du ministère des Transports. En juillet dernier, BAA annonçait un nouvel accord avec Air France: 170 pilotes d’A320 de la compagnie française seront entraînés sur les sites BAA de Vilnius et Barcelone.

"Tête de pont de la Russie"

Ce triple coup fumant en France ressemble bien à une consécration pour Avia Solutions Group (ASG), la maison-mère de BAA Training. En une quinzaine d’années, cette petite société lituanienne, créée sur les décombres de la compagnie aérienne nationale Lithuanian Airlines, s’est imposée comme une petite multinationale de l’aéronautique. Dirigée depuis 2009 par Gediminas Ziemelis, 45 ans, première fortune de Lituanie (1,68 milliard d’euros, selon le magazine lituanien Top), elle est présente de la formation (BAA Training), à la maintenance (FL Technics, Helisota), en passant par les compagnies cargo (BBN Airlines Nordic, SmartLynx Airlines, Magma Aviation), les sociétés de leasing (AviaAM Leasing), l’affrètement aérien (Chapman Freeborn) et les services au sol (BGS, Aviator). De 420 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2018, la société est passée à 1 milliard en 2021, et elle a déjà réalisé 1,36 milliard d'euros de ventes sur les neuf premiers mois de l'année 2022. Une croissance impressionnante, symbolisée par l'énorme statue de taureau musculeux installée devant son siège de Vilnius.

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Le "Taureau triomphant", énorme statue de bronze installée devant le siège d'ASG à Vilnius. Elle incarne, selon le groupe, la capacité du groupe à "rester incassable" face à l'adversité (photo: Maria Cavali / Avia Solutions Group)

 

L’histoire est belle, très belle même. Mais elle omet un détail, qui n'en est pas vraiment un: depuis plusieurs années, ASG et son président fondateur Gediminas Ziemelis sont régulièrement accusés de proximité pro-russe. "Je travaille sur cette société depuis des années: elle est, à l’évidence, une tête de pont de la Russie en Europe, assure à Challenges l’analyste lituanien Marius Laurinavicius, spécialiste de l’ingérence russe passé par les think tanks Vilnius Institute for Policy Analysis et Hudson Institute. ASG est une menace pour la sécurité nationale de Lituanie, mais aussi pour l’OTAN en général."

Le président d\'Avia Solutions Group, Gediminas Ziemelis Crédit : (PRNewsfoto/Avia Solutions Group)
Le président d'Avia Solutions Group, Gediminas Ziemelis (photo (PRNewsfoto/Avia Solutions Group)

 

Quels soupçons pèsent exactement sur ASG? Pour comprendre, un retour en arrière est nécessaire. En janvier 2014, ASG se lance dans un énorme projet en Russie. Il s'agit de transformer l’aérodrome de Ramenskoye, près de Moscou, en quatrième aéroport de la capitale russe, l'aéroport international Zhukovsky. Pour mener à bien ce chantier à 236 millions de dollars, le groupe lituanien crée une coentreprise avec le groupe russe Rostec, détenue à 75% par ASG et à 25% par le groupe russe. Le problème, c'est que Rostec n'est pas une société comme les autres: le groupe, dirigé par Sergueï Tchemezov, un proche de Vladimir Poutine qu’il avait connu comme agent du KGB en RDA dans les années 1980, est un conglomérat qui réunit la fine fleur des sociétés d'armement russes (le groupe aéronautique UAC, Russian Helicopters, Kalashnikov, l'agence d'exportation d'armement Rosoboronexport). Mais l'époque est à la détente entre l'OTAN et la Russie : l'accord ne fait guère de vague.

Lors de la signature de l\'accord, le président d\'ASG Gediminas Ziemelis serre la main de Dmitri Shugaev, le numéro deux du groupe. Ce dernier, désormais directeur sur service de coopération technique militaire du ministère russe de la défense, est sous sanctions américaines depuis mars 2022. Crédit : Rostec, ASG
Le président d'ASG Gediminas Ziemelis serre la main de Dmitry Shugaev, le numéro deux de Rostec, en janvier 2014 lors de la signature du partenariat sur la construction du quatrième aéroport de Moscou. Ce dernier, désormais directeur sur service de coopération technique militaire du ministère russe de la défense, est sous sanctions américaines depuis mars 2022 (photo Rostec/ASG)

 

Tout change quelques semaines plus tard. Un mois à peine après l'accord, la Russie envahit la Crimée, qu'elle annexe en mars 2014, et lance la guerre du Donbass. Tchemezov est placé sous sanctions américaines le même mois, et sous sanctions européennes en septembre. Mais ASG poursuit sans ciller son projet d'aéroport avec Rostec. En 2017, Gediminas Ziemelis annonce même un nouvel investissement de 20 millions de dollars pour attirer les compagnies low-cost et cargo sur le nouvel aéroport. ASG ne revendra ses parts qu'en octobre 2018, plus de quatre ans après l'annexion de la Crimée.

Alerte des services lituaniens

Les accusations de proximité avec la Russie n'ont jamais cessé depuis. En mars 2021, le patron du service de renseignement intérieur lituanien VSD (Département de la sécurité d’Etat), Darius Jauniskis, cite explicitement le groupe comme menace pour le petit Etat balte: "Il y a des doutes sur l’activité et la fiabilité d’Avia Solutions Group, les services de renseignement ont informé les décideurs sur ce fait", indiquait-il lors de la conférence de presse annuelle du service. 

Deux mois plus tard, le 10 mai 2021, c’est l’opposant russe Mikhaïl Khodorkovski, réfugié à Londres, qui pointe du doigt ASG lors d’une audition au Parlement européen, devant le comité spécial sur les ingérences du Kremlin dans les affaires européennes. Il évoque des "liens possibles" d’ASG avec le "premier cercle de Vladimir Poutine", citant notamment le patron de Rostec Sergueï Tchemezov, mais aussi l’oligarque Evgueni Prigojine, le patron fondateur de la société militaire privée Wagner.

Lire aussiWagner, enquête sur l’armée de l'ombre de Poutine

Lors de la même audition, Khodorkovski évoque également le recrutement par ASG, en 2019, de l’ancien ministre des Affaires étrangères lituanien Vygaudas Usackas, nommé administrateur et porte-parole du groupe. "Pour des raisons qui nous sont inconnues, les conseillers politiques du Kremlin le considèrent comme un candidat amical à la présidence lituanienne", accuse l’ancien PDG de Ioukos.

Un match de basket en trop

Les liens de Vygaudas Usackas avec la Russie avaient également été évoqués par le renseignement intérieur lituanien en 2020. "Je lui a parlé personnellement alors qu’il n’était pas encore candidat (à la primaire du parti chrétien-démocrate pour la présidentielle lituanienne de 2019, NDLR), et lui ai dit que certaines personnes dans ses relations étaient liées aux services spéciaux russes", indiquait Darius Jauniskis, directeur du VSD (Département de la sécurité d’Etat), en mars 2020.

Usackas avait notamment été critiqué quand, ambassadeur de l'UE à Moscou en 2015, il avait participé à un match de basket une équipe coachée par Sergueï Ivanov, chef de l'administration présidentielle de Vladimir Poutine et ancien directeur adjoint du FSB (ex-KGB). Le diplomate avait eu beau justifier ce choix en évoquant, dans un post Facebook, une "diplomatie du basketball", cette proximité avec l'administration du Kremlin, alors que des attaques de rebelles pro-russes sur la ville ukrainienne de Marioupol venaient de faire 30 morts, avait créé la polémique.

En janvier 2015, Vygaudas Usackas, à l\'époque ambassadeur de l\'UE à Moscou, participe à un match de basket avec Serguei Ivanov, chef de l\'administration présidentielle du Kremlin Crédit : Présidence de la fédération de Russie
En janvier 2015, Vygaudas Usackas, à l'époque ambassadeur de l'UE à Moscou, participe à un match de basket avec Sergueï Ivanov, chef de l'administration présidentielle du Kremlin (photo présidence de la fédération de Russie)

 

Vygaudas Usackas, en bas à droite, et Serguei Ivanov, troisième en bas en partant de la droite Crédit : Présidence de la fédération de Russie
Vygaudas Usackas, premier en bas en partant de la droite, et Serguei Ivano, troisième en bas en partant de la droite (photo présidence de la fédération de Russie)

 

S’ils n’ont pas empêché la croissance impressionnante de l’activité du groupe, ces soupçons de sympathie pro-russe plombent ASG depuis des années sur le marché intérieur lituanien. En février 2021, le groupe avait demandé une autorisation pour construire un nouveau hangar sur l’aéroport de Vilnius. La Commission de sécurité nationale a rendu un avis négatif, suivi par le gouvernement en mars 2021, qui interdit l'investissement d'ASG. Quelques années plus tôt, en 2016, le ministère de l’Economie lituanien retirait Helisota et FL Technics, deux filiales de maintenance aéronautique d’ASG, de la liste des fournisseurs autorisés à participer aux appels d’offres de l’OTAN. Les deux décisions, contestées en justice par ASG, avaient été confirmées par la Cour Suprême lituanienne en 2018.

Ziemelis dans une délégation officielle russe

De fait, ASG a longtemps cultivé une proximité, clairement assumée, avec la Russie. En août 2012, la filiale FL Technics signe un contrat pour la construction d’un énorme centre de maintenance à Oulianovsk, au centre du pays, un investissement à 22 millions de dollars. Sur les photos de la cérémonie, Gediminas Ziemelis est en conversation avec un homme imposant en veste couleur lie de vin. Pas vraiment un inconnu: il s’agit de Dmitri Rogozine, alors vice-premier ministre et ministre de la défense de la fédération de Russie. Celui-ci n'est pas encore le faucon anti-Occident qu'il deviendra quelques années plus tard, mais Ziemelis prouve ainsi la puissance de ses réseaux russes.

Le président d\'Avia Solutions Group Gediminas ZIemelis, à droite, en discussions avec Dimitri Rogozine, à l\'époque vice-premier ministre et ministre de la défense de Russie, en août 2012 Crédit : FL Technics
Le président d'Avia Solutions Group Gediminas Ziemelis, à droite, en discussions avec Dmitri Rogozine, à l'époque vice-premier ministre et ministre de la défense de Russie, en août 2012 (photo FL Technics)

 

Quatre ans plus tard, le 12 octobre 2016, on retrouve carrément le même Ziemelis dans une délégation officielle du gouvernement russe. Le fondateur d’Avia Solutions Group participe à une négociation entre le groupe chinois Poly International et Rostranmodernizatsya, une division du ministère des transports russes dédiée aux projets d’infrastructures. Thème de la rencontre: la construction du terminal charbonnier de Lavna, près de Mourmansk (nord-ouest de la Russie, près de la frontière norvégienne). "Que faisait un citoyen à passeport lituanien, pays membre de l’OTAN, dans une délégation officielle du gouvernement russe?, s’interroge Marius Laurinavicius. Le sujet n’avait aucun lien avec le business d’ASG!"

Le 12 octobre 2016, Gediminas Ziemelis  participe, au seoin d\'une délégation officielle du gouvernement russe, à une négociation entre le groupe chinois Poly International et Rostranmodernizatsya, une institution du ministère des transports de Russie Crédit : Ministère russe des tranports
Le 12 octobre 2016, Gediminas Ziemelis participe, au sein d'une délégation officielle du gouvernement russe, à une négociation avec le groupe chinois Poly International (photo Ministère russe des transports)

 

Interrogé sur le sujet par Marius Laurinavicius en octobre dernier, ASG a répondu que Ziemelis "n’était pas membre de la délégation officielle" mais juste "invité", la négociation en question "ayant été suivie de réunions liées aux financements d’avions". Le communiqué du ministère russe des transports, toujours en ligne, indique pourtant clairement que Ziemelis a "participé aux négociations côté russe".

La DGSI demande des comptes

Ces soupçons de sympathie pro-russe d'ASG étaient-ils connus d’Air France et de l’ENAC lors de la signature des contrats avec la filiale d’ASG BAA Training? Des enquêtes de conformité ont-elles bien été effectuées pour les étudier? Le tropisme russe de la société lituanienne a en tout cas interpellé les services de renseignement français. Selon nos informations, la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) a demandé, l’été dernier, des comptes à Air France sur ses accords avec le groupe lituanien. La compagnie aérienne lui a répondu avoir vérifié qu'ASG n'était pas lié à des sociétés ou individus sous sanctions.

Interrogé par Challenges, Air France confirme avoir fait réaliser une enquête de conformité. "Comme c’est le cas pour tous les appels d’offres portant sur la signature de contrats stratégiques avec une entreprise étrangère, les règles de "due diligence" ont été appliquées, comprenant notamment la réalisation d’une analyse de conformité réglementaire (nationale, européenne et internationale) conduite selon les méthodes d’analyse recommandées par la commission européenne, indique la compagnie dans une déclaration envoyée à Challenges. BAA Training est un acteur reconnu en Europe, fournissant des prestations similaires à d’autres compagnies." Également contactés par Challenges, ni l’ENAC, ni le cabinet du ministre délégué aux Transports Clément Beaune n’ont répondu à nos questions.

Avia Solution Group nie quant à lui farouchement toute proximité avec la Russie. Dans une longue réponse à Challenges, que nous publions en intégralité ci-dessous, le groupe assure avoir arrêté toute activité en Russie depuis le début de l’invasion russe. "Au deuxième jour de la guerre en Ukraine, ASG et ses filiales ont arrêté toutes leurs opérations en Russie, écrit la société. Tous les clients et fournisseurs basés en Russie ont été bloqués dans la base de données clients d’ASG, et mis sur liste noire au niveau du groupe." La Russie, indique ASG, ne représentait que 3 à 4% du chiffre d’affaires du groupe en 2021, et les actifs sur place seulement 0,2% des actifs totaux du groupe. La société jure que 80% de son business est effectué en Europe de l’Ouest, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, et souligne qu’elle a levé 300 millions de dollars en décembre 2021 auprès du fonds d’investissement new-yorkais Certares.

"Inertie administrative"

ASG répond également point par point aux accusations de sympathies pro-russes. La coopération avec Rostec sur l’aéroport Zukhovsky? Le projet a été fait "conformément à la stratégie nationale lituanienne" de l’époque, qui consistait à "promouvoir la coopération dans l’économie et les transports" avec la Russie, avance ASG. Les accusations du VSD, le service contre-ingérence lituanien? ASG évoque une "grosse erreur d’interprétation" au sujet de son investissement dans l’aéroport Zukhovsky, dénonçant "une sorte d’inertie administrative" du VSD.

Les accusations de Mikhaïl Khodorkovski au Parlement européen? "M. Khodorkovski lui-même a reconnu publiquement que les informations qu'il a partagées lors de la réunion n'ont pas été confirmées ou entièrement vérifiées, affirme ASG. Il est décevant que de telles informations erronées soient encore répétées, alors qu'il n'y a aucune preuve et aucune base pour ces allégations." Les interdictions de participer à des appels d'offres publics lituaniens ou de l'OTAN? "Avia Solutions Group n'a jamais été interdite de contrats publics ou d'appels d'offres de l'OTAN", jure le groupe. Une réponse étonnante: certaines de ces interdictions, comme l'extension de l'aéroport de Vilnius, sont publiques. Et l'interdiction de contrats OTAN de la filiale FL Technics est bien mentionnée dans un jugement de 2019 de la cour suprême administrative lituanienne

ASG balaie également d'un revers de main les sympathies pro-russes supposées de l’ancien ministre des affaires étrangères lituanien Vygaudas Usackas, administrateur et porte-parole du groupe depuis 2019. "Pendant son séjour à Moscou, l’ambassadeur Usackas a été inflexible sur des questions telles que l’annexion illégale de la Crimée et la guerre dans l’Est de l’Ukraine, écrit la société. Il était et reste un ardent défenseur des sanctions imposées à la Russie, et a également consacré son temps à obtenir la libération de M. Khodorkovski de prison."

L'étonnant Serguei Ivashkovski

ASG jure enfin qu'il a commencé à se désengager de Russie dès l'annexion russe de la Crimée en 2014. Ce retrait ne se voit guère dans les faits. Le groupe a conservé quatre ans sa participation dans l'aéroport Zhukovski de Moscou, et même annoncé en 2017 un projet de nouvel investissement sur place. En 2016, le président d'ASG Gediminas Ziemelis avait également investi dans une nouvelle compagnie cargo russe, Sky Gates Airlines, justement basée sur l'aéroport Zhukovski. ASG a racheté une société russe de logistique pour l'aviation, SLH Invest, en octobre 2019. Et le chiffre d'affaires du groupe en Russie, certes plutôt bas, avait quand même augmenté de 17% de 2020 à 2021, à 33 millions d'euros, avant l'invasion russe de l'Ukraine.

Le groupe lituanien a-t-il vraiment coupé tous les ponts avec la Russie depuis? Interrogé par Challenges, le renseignement intérieur français reconnaît qu’aucune preuve de la poursuite d’activités d’ASG en Russie n’a pu être mise en évidence. "La société a en effet appelé notre attention il y a quelques mois, mais il semble que les liens avec l'Etat russe se soient significativement distendus", assure un proche de la DGSI. A Vilnius, l’analyste Marius Laurinavicius assure ne pas croire une seconde à l’arrêt total des activités russes du fondateur d’ASG, Gediminas Ziemelis. "Nous n’avons effectivement aucun élément qui prouve qu’ASG en tant que tel a conservé des activités en Russie, estime-t-il. Mais il est évident que Ziemelis continue à faire des affaires avec Moscou. La preuve, c’est qu’il continue à travailler, au sein de sa holding personnelle, avec des personnalités proches du pouvoir russe, comme Serguei Ivashkovski."

Qui est ce Serguei Ivashkovski? Ce businessman à la dégaine de surfeur est un familier des sociétés publiques russes. Après avoir travaillé pour GazpromBank (la banque du géant gazier Gazprom) et le fonds d’investissement public russe Rusnano, il est passé par la banque publique russe Trust, une "bad bank" qui avait repris des actifs vérolés de banques privées russes en 2017-2018. En février 2021, il migre en Lituanie. Comme il l’indique sur son profil Facebook, le quadra est alors recruté comme conseiller par Vertas Management, la holding personnelle du fondateur d’ASG Gediminas Ziemelis. Il est également nommé associé de Skycop, une des participations détenues par le même Ziemelis, et revendue depuis.

Visites à Moscou

Cette double embauche d'un Russe ayant ses entrées à Moscou est étonnante, alors qu’ASG assure ne plus faire de business en Russie. D’autant plus que Serguei Ivashkovski, présenté par Skycop comme un "Ukrainien aux vues occidentales" qui a fui la Russie, retourne en fait régulièrement à Moscou. Sur une des photos de son compte Instagram, on le voit ainsi, en juin dernier, poser devant le stand Gazprom du Forum économique de Saint-Pétersbourg. "Il n’a pas été inquiété par les autorités russes, c’est bien la preuve qu’il reste chez lui en Russie", estime Marius Laurinavicius.

Photo sur le compte Instagram de Serguei Ivashkovski, qui le montre en visite au Forum économique de Saint-Pétersbourg en juin 2022 Crédit : Capture d\'écran nstagram
Photo sur le compte Instagram de Serguei Ivashkovski, qui le montre en visite au Forum économique de Saint-Pétersbourg en juin 2022 (capture d'écran Instagram)

 

L’affaire n’a pas échappé aux services de renseignement de Vilnius. Selon le site Internet de LRT (l’audiovisuel public lituanien), le businessman russe a vu son permis de séjour en Lituanie révoqué le 17 novembre dernier, pour menace pour la sécurité nationale. Un conseiller de Gediminas Ziemelis accusé de collusion avec la Russie: pas vraiment du meilleur effet, au moment où ASG clame haut et fort son retrait total du pays.

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